vendredi 10 mars 2017

« Et puis c’est une question d’éducation aussi. »

Je reviens une nouvelle fois sur la pointe des pieds ici... pour publier un article qui est dans mes brouillons depuis quelques mois déjà. Il parle d'un sujet important, qui revient encore une fois en force dans notre quotidien depuis début 2017.... si jamais il trouve un écho...
 
 
Je suis restée silencieuse.

Une conversation sur une terrasse par une chaude soirée de juillet, entre mères, à l’occasion d’une réunion de famille.
Nous étions 5. 4 d’entre nous déjà mères, l’une en devenir.

Le sujet du sommeil et des nuits hachées est vite venu. J’ai écouté 3 femmes rassurer la 4ème.
« Non mais ne t’inquiète pas, ils dorment vite »
« Le mien, à 3 semaines, il dormait déjà 8h d’affilée. Et là, à 5 mois, il fait des nuits de 12-13h ».
« La mienne – 6 mois- est un peu pénible en soirée, jusqu’à 23h. Mais après, on est tranquilles jusqu’à 9-10h le lendemain ».
« Et puis c’est une question d’éducation aussi.» lâché négligemment par la plus expérimentée (4 enfants au compteur)

J’ai essayé de murmurer : « ça peut varier d’un enfant à l’autre, tu sais…. »
Mais pourquoi en dire plus ? Pourquoi inquiéter une future jeune maman?
La peur d’être jugée peut-être ? Elle m’a fait mal cette dernière phrase, mine de rien….

La vérité c’est que c’est un sujet particulièrement sensible pour moi, le sommeil.
Ma fille aînée a commencé à dormir correctement vers ses 3 mois.
Elle se réveillait encore fréquemment lors de poussées dentaires ou de maladies enfantines jusque vers 18 mois.
Elle n’a jamais fait de grasse matinée par contre. Réveil vers 7h, plus ou moins 20 minutes, tous les jours.
Plutôt correct de mon point de vue.

Ma fille cadette, c’est une toute autre histoire. Reflux, asthme, que sais-je encore… les pires nuits de ma vie.
Réveillée 10/12 fois dans la nuit jusqu’à ses 6 mois. Parfois des nuits blanches entières.
Puis des réveils qui s’espacent un peu, 4/5 fois par nuit, jusqu’à ses 18 mois / 2 ans.
Et puis encore 2 fois par nuit, jusqu’à 2 ans et demi.
Et les rares nuits où elle dormait, on regardait le plafond à 00h07 / 2h45 / 4h12 car notre cerveau avait enregistré ce rythme de folie.
Et le réveil qui sonne malgré tout, tous les jours, à 6h45 pour aller bosser.

Quand je repense à cette époque, c’est quasi le trou noir dans mes souvenirs tellement j’étais épuisée.

Si je farfouille très loin dans ma mémoire, je me rappelle que je me levais en pleurant, que j’avais envie de taper ma tête contre les murs, que je me sentais la plus nulle du monde à ne pas comprendre pourquoi elle ne dormait pas, que je la berçais des nuits entières, qu’elle se réveillait 5 minutes après que je l’ai posée, que je m’endormais parfois en la berçant dans le fauteuil… Je me suis sentie au bord d’un précipice pendant des mois, des années. Le précipice de la folie.

Oui, la privation de sommeil, ça rend fou.
Et peu de gens le comprennent.

Si vous lâchez négligemment à vos collègues que votre enfant ne fait pas ses nuits, préparez-vous à des jugements sans appel.

« Tu lui as donné de mauvaises habitudes ». « Tu lui transmets ton stress ». Et j’en passe. (Notez bien que c’est presque toujours dirigé vers la mère… tout est toujours de la faute de la mère. Notez aussi que j’écris ce récit à la première personne mais son père a traversé la même chose et se levait la nuit autant que moi, voire plus à une certaine période.)

Viennent ensuite les bons conseils.

«  T’as essayé de la laisser pleurer ? » Oui, à un moment donné, on a essayé ça aussi (et elle pleurait pendant des heures sans jamais s’arrêter).
«  T’as consulté / essayé l’ostéo / la discussion droit dans les yeux / le sirop aux plantes / le micro-kiné / la veilleuse machin-truc,»  etc. etc. etc.

Oh que oui, on en a essayé des choses… le désespoir rend très créatif.

A l’âge de 2 ans et demi, il y a eu une accalmie. On y a cru si fort. Enfin, ENFIN !
Après une période de repos salvateur, ce 3ème enfant, qu’on avait oublié dans toute cette fatigue, est revenu dans nos envies.
« Ne nous habituons pas trop à redormir », disait mon chéri, « ou nous ne l’aurons jamais parmi nous. »
Leur frère a été conçu dès le 1er mois d’essai (ça n’était jamais arrivé que ce soit si rapide).
Heureusement dans un sens car dès le tout début de ma grossesse, sa sœur a de nouveau cessé de dormir.
L’accalmie aura duré 3 mois. Juste le temps de ne pas devenir complètement fous et d’agrandir la famille.
On est repartis pour 9 mois avec 2 réveils par nuit en moyenne.
Ma grossesse a été marquée en partie par l’angoisse de devoir gérer 2 enfants insomniaques la nuit.
Mais depuis cet heureux jour où son frère est né, elle dort. Enfin, pour de bon, de vraies nuits.
Elle avait 3 ans et demi. Ma fille cadette a donc « fait ses nuits », de façon durable, à 3 ans et demi.

Mon fils dort mieux que sa sœur, c’est indéniable. Mais ça ne fait que 2 semaines – croisez les doigts pour nous- qu’il enchaîne les nuits complètes. Il a 20 mois.
20 mois + 3 ans et demi, je vous laisse faire le compte…
 

Alors voilà, je n’ai rien dit ce soir-là… mais j’y reviens 4 mois plus tard car j’aurais sans doute dû parler à voix haute.
« Oui, c’est variable, un enfant ne ressemble pas à un autre. »
Même si on fait pareil, le rituel du coucher, l’ambiance tamisée, la chanson du soir, la chambre fraîche, le doudou et la veilleuse… il n’y a pas de recette miracle.
J’aurais dû le dire.

« Non, ce n’est pas si inhabituel que cela de ne pas faire ses nuits passés 6 mois »
« Et ne t’enferme pas dans la solitude si le sommeil est difficile »

En parler ça fait du bien. En rire est carrément salvateur
 
 
 
J’aurais dû le dire.

Dire que le sommeil, ça fait tout. Ca fait la forme, le moral, la patience, l’envie, la vie.
Le sommeil, c’est la vie.
La privation de sommeil vous plonge dans un désespoir que ne soupçonneront jamais les heureux parents qui dorment (et tant mieux pour eux !).

Je vais oser poser ici ce que je n’ai, je crois, jamais confié à quiconque.
La privation de sommeil m’a transformée en zombie. Ce n’était pas juste un visage pâle et des cernes.
J’ai vécu des jours avec cette impression que toute énergie m’avait quitté, qu’il ne me restait plus aucune étincelle de vie, que j’étais à sec, vidée.
A moitié morte de l’intérieur aussi.
Dans ces périodes critiques là, au creux de la nuit, avec le réveil nocturne de trop vient aussi vous frôler l’idée d’en finir tout à fait.

Ils m’ont sauvée chaque jour.
Les regarder vivre, les voir sourire, grandir…
Chaque jour, ils rallumaient le feu, qui me réchauffait de l’intérieur et me maintenait jusqu’au soir.
Ils m’ont gardée en vie, là, tout au bord du précipice.

J’aurais dû le dire.
Le sommeil et l’amour, c’est la vie.